Philippe
Pouillart
Chercheur à l’INSERM, puis au CNRS,
puis dans une société pharmaceutique franco-américaine
Qui êtes-vous ? Quel est votre parcours de vie ?
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Enseignant et chercheur en pratique culinaire et santé, je suis aussi docteur en immuno-pharmacologie et chef cuisinier. J’ai commencé ma vie professionnelle par un doctorat en biologie et cancérologie. Puis, j’ai fait une thèse en en cancérologie à l’INSERM Saint-Vincent-de-Paul, j’ai ensuite travaillé au CNRS sur la biologie des cancers. Puis j’ai construit une animalerie sur l’ancienne usine de Citroën. Cette animalerie était un laboratoire niveau 2 de sécurité pour une petite PME qui n’avait pas les moyens de continuer. J’ai alors créé une société de pharmacodynamie pour tester de nouveaux principes actifs sur les animaux. En reprenant cette boîte je cherchais des clients, j’ai rencontré Unilasalle avec qui je travaille depuis 22 ans.
Je travaille aussi pour l’ISAB, l’institut supérieur d’agriculture de Beauvais où j’ai créé le projet d’une université d’ingénieurs en alimentation et santé. Pendant le parcours qui dure cinq ans,
on enseigne aux étudiants à coordonner des projets de recherche et développement mais aussi à échanger avec des praticiens de soin, des professionnels de la restauration et de l’agro-alimentaire… Et tous les gens qui gravitent autour du malade.
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Comment avez-vous créé NEODIA et construit une étude culinaire avec les malades du cancer ?
En janvier 2010, un état des lieux du lien entre la nourriture avec le cancer a été effectué. À l’époque, il existait peu de données et ces données n’étaient pas partagées dans le parcours de soin : le médecin prenait le poids du patient pour la chimio et ne le transmettait pas forcément au diététicien (Aujourd’hui, dans le cadre de PPS, c’est obligatoire).
Cette enquête, NEODIA, comme l’ont appelée les patients, comptait 197 personnes, 167 questions, et mesurait :
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Les habitudes de consommation du malade,
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Ce qu’il mangeait et comment il mangeait avant la maladie,
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On observait les nausées et les aphtes liés au traitement,
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Le fait que le patient ne supporte pas l’odeur de certains aliments, et que l’entourage
n’en ait pas toujours conscience.
Puis on a constitué un groupe restreint de patients, parmi des membres de l’étude, que l’on a rencontré dix fois par an jusqu’en 2015. Dès lors, le groupe a travaillé chaque mois en cuisine et dans la salle d’analyse sensorielle, a participé à la création de recettes et à la construction d’un document.
En 2013, avec le soutien de l’hôpital de Beauvais, nous avons monté des ateliers d’éducation thérapeutique du patient avec un médecin coordinateur. 200 nouveaux malades sont venus tester. Puis ce sont 150 professionnels de santé, pharmaciens, sophrologues, médecins et même des magnétiseurs qui sont venus valider les bienfaits de ces ateliers. Nous avons dupliqué ces ateliers à l’hôpital de Beauvais avons monté une quinzaine d’ateliers avec d’autres hôpitaux ou associations.
Régulièrement, l’industrie alimentaire vient nous consulter pour concevoir les repas des hôpitaux, des repas qui correspondent aux problématiques individuelles des malades.
Au regard de l’intérêt croissant des patients et des collectivités nous avons créé un site internet
www.vitefaitbienfaits.com coconstruit avec les malades sur lequel on a mis en ligne des recettes culinaires des vidéos, des tutos, d’autres trucs et astuces, des infos et notamment les bienfaits des aromates… Notre atout majeur est la connaissance en pharmacopée qui nous permet d’informer les patients sur les effets secondaires, la valeur culinaire et les doses idéales.
Parlez-moi de nourriture et cancer ?
Lorsqu’on a un cancer, l’idéal est de manger quand on a faim pour éviter et repousser la dénutrition. Par notre travail, nous mettons tout en œuvre pour favoriser l’autonomie et l’empowerment du malade. On favorise une médecine du goût du bien-être et de santé et mettons en garde contre les aliments à risque. Ainsi, le curcuma est bon en préventif mais strictement interdit pendant le traitement, comme le pamplemousse et le millepertuis.
Pour détoxifier le foie, l’aloe vera est top en prévention mais à bannir en cancérologie, car il augmente la toxicité du médicament qui reste trop présent dans l’organisme et devient toxique. Le soja réduit l’efficacité des médicaments. Le soja fait en sorte que le médicament quitte le corps trop vite et on peut constater que le médicament ne fait pas effet.
À plusieurs reprises, j’ai pu expérimenter un discours différent entre les nutritionnistes
de l’hôpital, les médecins, et les repas servis à l’hôpital. Il est difficile de se repérer ?
Il y a une cacophonie, un manque de données et un manque d’investissement des praticiens et notamment des praticiens de soins de support. Les médecins sont à l’écoute, et s’ils ne peuvent pas, ils délèguent aux nutritionnistes. Le discours en onco évolue très vite. On entend beaucoup parler du sucre qui favorise le développement des cellules cancéreuses. Or, pour éviter la fonte musculaire il faut manger un peu de sucre car le sucre permet de métaboliser les protéines, le sucre stimule l’insuline qui favorise l’assimilation des protéines.
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Pourriez-vous partager dix recommandations faciles à retenir ?
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L’alcool et tabac sont délétères.
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Favoriser une alimentation riche en fibres car c’est à tous les niveaux que les fibres sont transportées.
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Non au complément alimentaire s’il n’en a pas besoin, s’il n’y a pas de carences.
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Favoriser le bio,
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Favoriser les fruits et légumes mûrs, plus un légume ou un fruit prend du temps pour pousser dans la terre, plus il est riche en micro et macro-nutriments,
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Fruits et légumes, fibres, sont essentiels à la santé,
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Si la personne ne se dépense pas trop, réduire l’apport,
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Valoriser le régime méditerranéen,
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Moins de charcuterie, moins de gras,
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Le diabète et l'obésité favorisent le développement du cancer.
Qu’aimeriez-vous dire à une personne qui vient d’apprendre qu’elle est malade ?
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S’entourer de personnes solides,
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Être acteur de sa santé,
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Se faire aider, tenter de garder la place dans la société,
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Rester avec ses amis, en couple, oser se montrer et tenter,
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La médecine a avancé, elle a progressé et le médecin se doit d’être clair,
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Une approche psychologique permet de soutenir la guérison,
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Être le plus ouvert possible,
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Partager les phases de stress et de détente avec l’entourage,
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L’activité physique et l’alimentation sont essentielles.
Dans trois ans on veut 60% d’hospitalisation à domicile mais cela ne sera possible que si le patient accepte la situation, s’il accepte le parcours de vie avec la maladie et qu'il crée une alliance avec le médecin, avec l’aidant et tout son entourage.